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Éric Desrosiers. « Perspectives - Humaniser le commerce », Le Devoir, lundi 4 février 2008

4 février 2008

Le Canada et le Pérou viennent de signer un accord de libre-échange qui pourrait marquer une avancée importante sur la voie d’une certaine humanisation des règles du commerce international. L’avenir dira si, contrairement aux autres fois, les gouvernements, les entreprises et les syndicats prêteront vie aux nouvelles dispositions du traité visant la promotion des droits des travailleurs.

Annoncée en marge du Forum de Davos, il y a dix jours, la nouvelle est passée totalement inaperçue. Il est vrai que le Canada n’en est plus à son premier accord de libre-échange. Il faut dire aussi qu’avec des échanges commerciaux ne totalisant que 2,4 milliards entre les deux pays, il n’y a pas l’air d’avoir de quoi s’exciter, à part peut-être pour les compagnies minières canadiennes qui connaissent bien la richesse du sous-sol péruvien.

Le traité s’accompagne toutefois d’un accord parallèle sur l’environnement fort intéressant visant à renforcer la préservation de l’exceptionnelle diversité biologique présente au Pérou ainsi que la protection des connaissances traditionnelles des communautés autochtones. Il vient aussi avec un autre accord parallèle portant sur les règles et les conditions de travail qui se veut le plus ambitieux en son genre jamais signé entre deux pays.

Cette idée d’accords parallèles n’est pas nouvelle en soi. L’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) s’accompagnait déjà il y a plus de dix ans d’un Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail et d’un Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l’environnement. C’est Bill Clinton qui avait imposé au Canada et au
Mexique ces deux accords afin de rassurer un Congrès américain qui craignait que les entreprises ne profitent de l’ALENA pour se ruer au Mexique suspecté d’être trop accommodant en matière de normes du travail et de règles environnementales. Les résultats obtenus ont été pour le moins décevants, notamment à cause, souvent, de l’absence de possibilité de sanctions et du peu d’intérêt des gouvernements, mais aussi parce que les environnementalistes et les syndicalistes ont préféré mener leurs combats ailleurs.

Depuis ce jour, le Canada a continué d’inclure de tels accords parallèles à ses traités de libre-échange. Il a cherché, tant bien que mal, à en améliorer un peu les dispositions à la lumière des insuccès des expériences passées. Les États-Unis ont, une fois de plus, donné un nouvel élan à cette démarche l’an dernier.

Il était question d’un projet d’accord de libre-échange entre les États-Unis et le Pérou justement. La nouvelle majorité démocrate au Congrès refusait de le ratifier à moins que l’on améliore considérablement les dispositions portant sur la protection et la promotion des droits et des conditions de vie des travailleurs. Le traité qui a été finalement signé par les Américains et les Péruviens place pour la première fois sur un pied d’égalité les droits des travailleurs avec les autres dispositions de l’accord, a constaté lors d’une table ronde cette semaine le chercheur Sylvain Zini du Centre études internationales et mondialisation de l’UQAM. La promotion des droits et l’amélioration des conditions de vie des travailleurs y sont considérées aussi bien comme un facteur de progrès social qu’un facteur de compétitivité.

L’avancée canado-péruvienne

Profitant de la brèche ouverte par les Américains, le Canada a convenu avec le Pérou de se fixer les mêmes exigences et même plus, disent les négociateurs. L’accord parallèle sur le travail que les deux pays ont signé les oblige notamment à livrer des résultats en matière de respect des principes fondamentaux de l’Organisation internationale du travail ainsi que de leurs propres lois. Il est question de grands principes comme la liberté d’association, le droit à la négociation collective, l’abolition du travail des enfants, l’élimination du travail obligatoire et de la discrimination en matière d’emploi. Les pays se sont également engagés à fournir des protections en matière de santé et de sécurité au travail, et à fixer des normes de salaire minimum et de rémunération des heures supplémentaires.

Le non-respect de ces principes internationaux et de ces lois nationales est passible de sanctions relativement modestes (un maximum de 15 millions par année) dont les recettes doivent aller à un fonds spécial destiné à renforcer la capacité des pays à rencontrer les objectifs fixés. Le mécanisme de plainte et de règlement des différends se veut transparent et est ouvert au premier chef aux acteurs sur le terrain, tels que les entreprises et les syndicats.

Ces règles se veulent adaptées au fait que le problème de plusieurs pays en voie de développement n’est pas la faiblesse de leurs lois du travail, mais bien plus celle de leurs capacités de contrôle et de sanction. Elles pourraient passer, aux yeux des défenseurs du tout au marché, mais aussi de certains militants tiers-mondistes, pour une forme de protectionnisme visant à empêchant les pays pauvres de profiter de « l’avantage comparatif » que leur confèrent leurs coûts de main-d’oeuvre et leurs normes moins élevées. Cette critique n’apparaît pas justifiée dans la mesure où les obligations qui sont fixées se situent surtout au niveau du respect de principes fondamentaux et des lois locales, et non pas de seuils absolus où l’on fixerait, par exemple, le niveau du salaire minimum exigible à 2 $, 5 $ ou 10 $ l’heure.

Ce nouvel accord parallèle sur le travail, que le Canada entend désormais intégrer à tous ses futurs traités de libre-échange, n’est pas parfait. Il s’en tient toujours à des normes bien minimales. On ne sait toujours pas si les syndicats et les entreprises voudront lui prêter vie, ni si cela donnera des résultats concrets. Il ne servira à rien pour les petits agriculteurs péruviens qui risquent d’être emportés par les importations nord-américaines.

Et puis, on se demande chaque fois si les traités commerciaux sont de bons endroits pour essayer de faire avancer d’autres causes que celles du commerce. Ne ferait-on pas mieux de consacrer nos efforts à donner plus de muscles à des forums nationaux et internationaux dont les causes de la défense des travailleurs, la protection de l’environnement ou la promotion de la diversité culturelle sont les missions premières ?

Mais cela fait quand même plaisir d’apprendre que les ententes commerciales négociées par le Canada sont peut-être en train de s’humaniser.

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