Accueil
Accueil CEIM / Accueil GGT / Activités de recherche / Tables rondes virtuelles / Humaniser le commerce / Résumé de la table ronde virtuelle de janvier-février 2007

Résumé de la table ronde virtuelle de janvier-février 2007

« Retour anticipé du balancier du pouvoir économique, du capital vers le travail »

par Michèle Rioux

La première Table ronde virtuelle sur la Gouvernance globale du travail (TRV-GGT) invitait les participants à commenter et analyser un scénario potentiel laissant présager un changement de politique allant du capital vers le travail, aux États-Unis et ailleurs. Cette opinion a été exprimée par Stephen Roach, économiste en chef de Morgan Stanley, qui a écrit ce qui suit le 12 janvier 2007 :

« Par un vote de 315 contre 116, la Chambre des représentants des États-Unis a approuvé à une majorité écrasante une augmentation de 41 %, échelonnée sur deux ans du salaire minimum aux États-Unis, la première depuis dix ans. La loi sera tout probablement approuvée au Sénat et entérinée par le Président Bush. Ce n’est que le début de ce qui pourrait s’avérer un important retour du balancier politique américain en faveur du travail. Il y a par contre un obstacle de taille à ce retour en force : les travailleurs américains ont peu de pouvoir de négociation face à l’arbitrage global du travail, de plus en plus puissant, et sont mal placés pour agir eux-mêmes. Ils ont donc fait pression sur leurs représentants pour qu’ils effectuent à leur place les négociations. Il s’agit d’un scénario global. Ce sera sûrement là l’un des points les plus significatifs du retour anticipé du balancier du pouvoir économique du capital vers le travail ».

Les questions posées lors de la TRV–GGT étaient les suivantes :

  • Cette analyse du changement de politique est-elle juste ?
  • Quels sont les impacts d’un tel changement sur les lois et normes du travail et sur la gouvernanceglobale du travail ?

Participation à la première TRV–GGT

Quatre spécialistes de renommée internationale ont participé à la table ronde : Brian Langille (professeur de droit, Université de Toronto), Harry Arthurs (président honoraire et professeur de droit et de science politique, Osgoode Hall Law School), Lance Compa (maître conférencier, Cornell University’s School of Industrial and Labor Relations) et Alan Hyde (professeur de droit, Cornell University / Rutgers University). Nous les en remercions chaleureusement.

Résumé de la TRV

Brian Langille considère que Roach est sur la bonne voie en prédisant un changement au niveau de la force de pression exercée par les normes du travail, passant du marché à la politique. Selon lui, l’argument de Roach se fonde sur l’idée que les lois ont une importance et qu’elles peuvent améliorer la situation. Il pose ensuite la question suivante : « l’arbitrage global de plus en plus puissant » qui affecte les négociations directes a-t-il le même impact au niveau des lois du travail ?

C’est le constat auquel aboutit la thèse du « nivellement vers le bas », ou du « dumping social » : le droit du travail ressemble à une « taxe » imposée sur la production, taxe que le capital, de plus en plus mobile, cherche à éviter. Dans cette optique, Langille demande : « passer de la table de négociations à la législation, n’est-ce pas comme passer de Charybde en Scylla ? ». Sa réponse est non, pour deux raisons. La première raison est que la législation a vraiment de l’importance. La deuxième est que l’analyse « concurrence réglementaire / nivellement vers le bas » ne tient pas la route. Beaucoup acceptent l’idée que la législation du travail est une forme de taxe et que la concurrence fiscale est inévitable. Mais selon Brian Langille, les lois du travail ne sont pas une taxe et, combien même ce serait le cas, il s’agirait là du prix à payer pour la civilisation ; le capital ne veut peut-être pas payer de taxe, mais il a quand même besoin de la civilisation.

Enfin, si, comme le prévoit Roach, les marchés financiers devront faire face au retour possible du balancier, alors nous dit le Professeur Langille : « Le défi sera, comme toujours, d’élaborer des lois du travail qui fassent partie des politiques nécessaires pour bâtir de façon durable une société juste et équitable, et développer une économie prospère ».

Commentant la réponse de Brian Langille, le Professeur Harry Arthurs, offre une vision moins optimiste : « Je suis de l’avis de Mackenzie King : optimisme si nécessaire, mais pas nécessairement optimiste ». Ce point de vue s’appuie sur trois éléments. Tout d’abord, le changement dépend de la solidarité et du sentiment d’identité des travailleurs, ainsi que de la capacité et de la volonté des partis politiques à répondre aux problèmes liés au travail. Ces deux conditions ne semblent pas être réunies. Ensuite, le soutien à la législation sur le salaire minimum est « la » question liée au travail, contrairement à la négociation collective qui permet la convergence. Enfin, concernant le fait que la législation aurait de l’importance,le Professeur Arthurs note qu’on pourrait dire, contrairement à l’hypothèse de Weiler selon laquelle le droit fondamental à la liberté d’association serait mieux protégé au Canada à cause de son système législatif, que c’est parce que les syndicats ont gardé un certain pouvoir politique par leur alliance avec les partis politiques qu’il en est ainsi.

Bien qu’il soit plus optimiste, Lance Compa est également d’avis que le déplacement du pouvoir de négociation politique n’est pas suffisant pour revivifier le débat sur le travail, compte tenu que cette question doit être jumelée à l’organisation des travailleurs et à leur force de négociation dans l’entreprise.

Au niveau politique, le Professeur Compa insiste sur le fait qu’il faut changer les politiques publiques pour offrir aux travailleurs une protection au niveau social. Les États-Unis se sont éloignés de l’économie basée sur la fabrication pour passer à une économie de services ; cela nécessite des solutions novatrices, incluant une certaine gestion des politiques commerciales. Mais il est aussi vrai que les États-Unis comportent encore le plus grand secteur manufacturier au monde en termes de fabrication à valeur ajoutée et que " les trois-quarts de la valeur des produits fabriqués achetés aux États-Unis, rappelle-t-il, sont produits aux États-Unis. Il s’agit là manifestement de produits à forte intensité de capital, et non pas de soutiens-gorge et de sous-vêtements. Çà peut aller, du moins tant et aussi longtemps que les travailleurs américains fabriquant des sous-vêtements peuvent avoir accès à des emplois à plus grande valeur ajoutée et à salaire plus élevé ". Une législation du travail plus solide et mieux appliquée a de l’importancemais les travailleurs doivent aussi être plus actifs sur le plan de la mobilisation, de l’organisation et même de la grève, pour réussir à susciter le changement social. Sur ce point, Lance Compa est en désaccord avec l’opinion de Stephen Roach : la situation des syndicats aux États-Unis et l’arbitrage global ne sont pas des causes désespérées.

Pour sa part, Alan Hyde affirme que les syndicats peuvent se tourner vers la législation pour de nombreuses raisons – parce qu’ils sont forts, parce qu’ils sont faibles, parce que leur parti est au pouvoir, parce que les partis conservateurs au pouvoir cherchent à acheter les syndicats, etc. Mais il est peu probable selon lui que le mouvement des normes du travail aux États-Unis remporte des victoires législatives significatives. Cependant, il prévoit certaines victoires dans le dossier des travailleurs immigrants (par ex. : Smithfield Packing), tout comme il voit se profiler des clauses sociales intéressantes dans les changements qui seront nécessairement apportés aux accords de libre échange avec la Colombie, le Pérou et le Panama pour être ratifiés par le Congrès.

En conclusion
les quatre participant s’accordent pour dire que si les lois et normes du travail ont de l’importance, les victoires législatives et, plus généralement, les changements sociaux dépendent grandement de la solidarité du monde du travail et de la mobilisation des syndicats.

Le désaccord est évident quant à la situation « désespérée » des syndicats dépeinte par Stephen Roach.

Concernant les impacts potentiels sur la gouvernance globale du travail, le Professeur Hyde fait remarquer les victoires remportées sur d’autres fronts, par exemple les clauses sociales. Une façon de gagner du pouvoir « chez soi » est peut-être de travailler pour relever les normes du travail « ailleurs ».

Il pourrait aussi être intéressant de considérer de quelle façon la force des lois et des normes du travail dépendra des mécanismes internationaux et de leur interaction avec les systèmes nationaux. C’est peut-être par là que passe la réponse au problème de l’arbitrage entre une dynamique de nivellement par le bas et un processus de rehaussement des normes.

Gouvernance Globale du Travail (GGT) ggt @uqam.ca Plan du site Haut Haut
Université du Québec à Montréal (UQAM)    Institut d'études internationales de Montréal (IEIM)    Centre d'études sur l'intégration et la mondialisation (CEIM)    CANADA    Ressources humaines et Développement social Canada    Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM)